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"Le droit à l'asile vaut pour les personnes, mais aussi pour les œuvres, le patrimoine mondial"

Un droit d'asile pour le patrimoine : c'est la mesure annoncée par le président François Hollande mardi 17 novembre devant l'UNESCO, afin de protéger les œuvres d'art menacées par l'Etat islamique. "Le droit à l'asile vaut pour les personnes, mais aussi pour les œuvres, le patrimoine mondial" a-t-il déclaré. 

 

Car depuis quelques années, la destruction systématique et spectaculaire du patrimoine culturel par Daesh déchaîne les passions et soulève les questions - alors même qu'il n'est pas le seul auteur de sa destruction. (Lire l'article sur ce sujet.) En Syrie notamment, plusieurs sites, dont certains datant d’il y a plusieurs millénaires et classés au patrimoine mondial de l’humanité, sont actuellement menacés. Les anciennes villes d'Alep, de Bosra et de Damas, le Crac des Chevaliers et Qal’at Salah El-Din, le Site de Palmyre et les Villages antiques du Nord de la Syrie : ces six lieux ont traversé les siècles, mais se retrouvent aujourd’hui détruits ou en grand danger. Avec un point commun, cependant, comme une maigre lueur d’espoir : ils sont tous répertoriés sur la Liste du patrimoine mondial en péril de l’UNESCO. Vous pouvez les retrouver dans notre état des lieux du patrimoine syrien endommagé.

 

Une mobilisation compromise par les conflits

 

En 1965, c’est sous la houlette des Etats-Unis qu’est créée, pour la première fois, une “fondation mondiale pour la protection des sites naturels et culturels”. En 1972, la Convention de l’UNESCO, qui réunit alors pour la seconde fois les représentants des dix Etats parties, affirme notamment une ambition : répertorier les sites mis en danger. Dix ans plus tard, après des années de report du projet, l’organisation met enfin en place sa Liste du patrimoine mondial en péril. Objectifs affichés : aider les États à sauver leur propre patrimoine, leur donner un soutien légitime et crédible à l’international, et choisir quels monuments doivent être sauvés en priorité. (Pour mieux en comprendre les enjeux, c'est par ici.)

 

Mais limitée financièrement et dans son action concrète, l’organisation internationale a du mal à accomplir seule cette mission. (Les détails du financement de la Liste en péril ici.) Elle s’entoure donc d’autres organisations, souvent privées, comme le World Monuments Fund (WMF). Créée en 1995 à New York, cette ONG soulève des fonds et se mobilise sur le terrain. Le WMF s’est inquiété du patrimoine syrien bien avant l’UNESCO, dès les années 2000. (Pour en savoir plus, lire notre article sur les Monuments men.) Mais aujourd’hui, en raison de la situation syrienne, aucune des deux organisations ne peut plus agir sur le terrain.

 

 

 

 

 

La question de Youmna Tabet, qui travaille à l’unité des Etats Arabes du centre du Patrimoine Mondial, est aussi rhétorique qu’amère. “Pas grand chose”, laisse-t-elle supposer. A l’UNESCO, l’action concrète se résume, pour l’heure, à un échange de mails avec les ONGs locales et les habitants restés sur place pour recueillir le maximum de données sur l’état des monuments. Mais l’organisation prépare aussi l’après-guerre. Car la fin du conflit ne signifie pas la fin du danger pour le patrimoine. “Parfois, c’est après les conflits que les dégradations sont les plus importantes. Par exemple, quand des promoteurs immobiliers, conscients que l’économie va reprendre, font construire des immeubles à proximité, voire sur les lieux d’un site”, explique Youmna Tabet.

 

Certains monuments ne sont pas répertoriés par l'UNESCO

 

Les dégâts en Syrie pourraient être encore plus importants que ce que dénonce déjà l’UNESCO : depuis 2011, sur les 65 sites historiques qui ont été endommagés, seulement 13 font partie des sites listés et surveillés par l’UNESCO. Autrement dit, 52 autres sites non répertoriés par l’organisation - mosquées, citadelles - passent actuellement entre les mailles du filet des organisations occidentales.

 

Si certains de ces lieux ont été détruits par Daesh, combien d’autres pourraient être endommagés par des frappes aériennes, menées par les Etats qui se déclarent par ailleurs défenseurs du patrimoine mondial ?

 

 

 

 

 

Pour limiter les dégâts, l’UNESCO a mis en place des formations pour les militaires. Mais Khalid Ermilate, responsable de la protection du patrimoine culturel à l’UNESCO, reste pragmatique. “Vous pouvez essayer de demander à un commandement militaire d’ordonner à ses avions de voler à basse altitude pour éviter le patrimoine culturel, je peux vous assurer qu’il va privilégier la vie de ses soldats. Parce que plus on vole à basse altitude, plus on est à portée des armes”, explique-t-il.

 

Le sensationalisme plutôt que les dégradations pernicieuses

 

Mais en réalité, le conflit armé est loin d’être la plus grande menace pour le patrimoine mondial : il ne représente que 6 % des causes de mise en péril. Et cela est particulièrement vrai en Syrie, où le patrimoine avait commencé à disparaître avant la guerre. Par négligence et manque de moyens, d’une part ; mais aussi parce que sous le régime de Bachar al-Assad, pillages et corruption sont monnaie courante.

 

La principale menace qui pèse sur le patrimoine est pourtant, et de manière inattendue, la prolifération de politiques d’urbanisation. Construire son futur sur les ruines de son passé est parfois tentant et Palmyre, le site révélé au monde entier lorsqu’il a été détruit par Daesh, en a d’ailleurs fait les frais. Depuis 2009, le site était menacé par la construction d’hôtels, de routes et par l’expansion des villes voisines. “Mais les destructions liées aux conflits sont plus spectaculaires et sensationnalistes’’, estime une archéologue spécialiste du Proche-Orient. “Les dégradations liées aux transformations du territoire, elles, s’inscrivent dans le temps. Ca fascine moins." (Pour appronfondir sur ce sujet, lire notre article sur la menace oubliée qu'est l'aménagement du territoire.)


Lugubre paradoxe : les destructions de Daesh auront peut être attiré l’attention de la scène internationale sur la disparition du patrimoine syrien. Une disparition silencieuse, pernicieuse, qui était à l’oeuvre depuis des années.

“A votre avis, qu’est-ce qu’on peut faire quand on ne peut pas aller sur le territoire ?”

"Plus on vole à basse altitude, plus on est à portée des armes"

 

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